‘’Une Corneille, perchée sur La Racine De La Bruyère, Boileau De La Fontaine’’ est cette citation connue pour regrouper quelques figures emblématiques du classicisme: cet ensemble d’œuvres littéraires qui ont jalonné le XVIIe siècle. En particulier, Jean De La Fontaine, l’une des meilleurs plumes de son temps a composé environ 240 fables. Il s’est révélé comme un fin observateur du genre humain se servant «d’animaux pour instruire les hommes» comme il le disait dans le prologue qu’il adresse au Dauphin, fils de Louis XIV dont il était chargé d’assurer l’éducation.
Ces illustres fables évoquent des souvenirs d’enfance mais nous interpellent aujourd’hui devenus adultes. Elles dressent un panorama lumineux de notre société actuelle aux prises des enjeux comme l’équité, la justice sociale, le pouvoir ou le droit du spolié, mais touchent aussi du doigt des traits individuels comme l’ambition, l’orgueil, la prudence, ou le courage.
Cependant, on peut découvrir chez La Fontaine un opus qui ouvre grand des éléments de réflexion d’abord pour l’art oratoire mais aussi pour le leadership, dans toutes les nouvelles dimensions à l’aune des temps troubles que nous traversons.
Nous pouvons être cristallisé à l’idée de prendre la parole ou passer à côté d’un discours à saveur humoristique, mais nous savons que la pratique régulière nous mène à des efforts vertueux produisant un fruit de renommée : le capital de confiance.
Nous sommes plutôt saisis par la passion et l’émotion affichées par un orateur abordant des questions difficiles; convaincus par sa crédibilité personnelle et morale lui permettant d’établir une connexion avec son auditoire; ou émerveillés par son usage judicieux de la rhétorique. Tous ces éléments que le monde grec qualifie respectivement de pathos, ethos, et logos.
En réalité, les grands discours et raisonnements peuvent nous faire perdre notre attention. Or La Fontaine sait aller à l’essentiel, nous transportant dans une histoire qui résonne longtemps après dans nos pensées. Il sait aussi décrire avec verve le burlesque – peignant la toile du courtisan qui flatte la cour royale, et cela à travers les animaux comme le renard, incarnation de la ruse et la fourberie. Pour lui, il faut de la nouveauté et de la gaieté. Et il n’appelle pas gaieté ce qui excite le rire; mais un certain charme, un air agréable, qu’on peut donner à toutes sortes de sujets, mêmes les plus sérieux. Par exemple, dans Le renard et le bouc, il raconte que ces deux compères descendirent au fonds d’un puits pour assouvir leur soif. Le renard réussit à convaincre le bouc et se sert des épaules et des cornes de ce dernier pour sortir du puits alors que le bouc y est condamné pour n’avoir pas été prévoyant, et par conséquent: «en toute chose, il faut considérer la fin.»
Venons-en à présent à citer quelques attributs du leadership trouvant appui dans d’autres fables célèbres de La Fontaine.
Le fabuliste ironise sur le fossé qui existe entre la prise de décision et l’action dans Conseil tenu par les rats. Il éveille notre conscience dans L’âne et le chien, soulignant la morale de l’entraide comme loi de la nature.
On peut aussi le voir dénoncer les privilèges de la position hiérarchique dans Les animaux malades de la peste.
Dans Le laboureur et ses enfants, «Travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins»; La Fontaine illustre très bien (et nous l’avons déjà vu) l’idée du mentorat mais aussi celle de la vision à long-terme.
Nous continuons avec deux autres attributs du leadership méritant une attention particulière :
En premier, la résilience : La Fontaine nous met en garde dans La mort et le bûcheron contre le défaitisme avec le bûcheron couvert de ramée appelant la mort qui vient sans tarder.
Devant l’adversité, il nous rappelle de fort belle manière, dans Le chêne et le roseau, la nécessité d’adaptation et de rester humble. Ou encore il nous montre dans Le lièvre et la tortue que «rien ne sert de courir, il faut partir à point»
Dans Le petit poisson et le pécheur, son pragmatisme nous enseigne qu’«un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.»
En second, l’évaluation : Une évaluation qui se veut constructive commence par une écoute active. Ensuite, le schéma usuel consiste à souligner les points forts et les pistes d’amélioration. Mais il arrive pour le leader de conduire subtilement le membre de son équipe à trouver lui-même la solution afin qu’elle soit mieux assimilée. Qui plus est, selon la maxime populaire, «Eduquer, c’est montrer le chemin à parcourir, c’est nettoyer le chemin mais souvent, s’écarter du chemin».
Et l’essence de l’œuvre de La Fontaine est bien celle d’éduquer. Pour lui, même si ses critiques sont voilées à cause des représailles du Roi Soleil, son intention se distinguait par son authenticité et les valeurs auxquelles il s’attachait. Il présente des scénarios et amène le lecteur pour qu’il en tire lui-même des enseignements.
En définitive, La Fontaine dira de son œuvre que l’apparence quoique puérile sert d’enveloppe à des vérités importantes. Pour nous, certes la sagesse humaine et le savoir naturel sont des aspirations qui sont loin d’atteindre leur acuité, mais les labeurs en produisent les vertus. Là où on peut observer du cynisme au pied de son œuvre, notre capacité de discernement est rehaussée. Nous augmentons à son école nos aptitudes pour l’art oratoire et le leadership. C’est donc une invitation à boire l’eau de La Fontaine. D’ailleurs, Louis XIV accepta finalement son admission à l’académie française en disant : ‘’Vous pouvez recevoir incessamment La Fontaine, il a promis d’être sage’’.